vendredi 17 avril 2020

Soubresauts


C’est dense et complexe.

Il y a des vagues.

Parfois, c’est vécu avec une forme de sérénité, de silences, de routine qui se déroule sans accrocs.

Je suis dans les bras de mon amoureux, je me sens protégée, vivante, chanceuse.

Je mange des bonnes choses, je lis des livres qui m’inspirent, je démarre des projets qui ont du sens, je me ballade dans une nature verdoyante et paisible.

A toute heure du jour, j’entends les oiseaux et le murmure rassurant de la ville.


Et puis il y a ces soubresauts, ces éclats de conscience, ces tremblements de réalité crue et morbide.

Ceux là, ils surgissent sans prévenir.

Ou peut être que si, ils sont là depuis le début, et cette impression de sérénité n’est que surface et mirage.

Sournois, brutaux, sans pitié, ils viennent nous rappeler l’état du monde qui s’agite en nous, qui nous transperce de toutes parts, qui nous tord et nous déforme.

Je n’arrive plus à trier les informations, à trancher, à tirer des conclusions sans me faire embarquer par celles des autres.

Je sens cette lenteur, cet arrêt, ce poids que chacun.e porte.

 Les yeux se rivent sur les présumé.e.s responsables. Une rage, une colère, une indignation qui grondent et qui s’accroissent un peu plus chaque jour.

Je me dis « il était temps ».

Je me dis « j’ai beaucoup d’espoir, mais j’ai peur moi aussi ».

J'ai peur de ce nouveau monde qui se dessine avec les crayons des mêmes mains. Ce n’est pas de celui là dont je rêve.

Je m’outille. Je tente de me tenir prête au grand changement.

Puis je m’écroule en découvrant toutes ces barrières qui me retiennent malgré mon envie pressante de passer à autre chose.

Parfois je me murmure tout bas : « au moins dans le vieux monde je savais à quoi m’en tenir. »

Puis j’ai honte, parce que je sais que le mot « résilience » nous sauvera.
  


mardi 17 mars 2020

Lettre à ma liberté



 Besançon, le 16 mars 2020


Depuis quelques jours, tu paniques. Tu sens que ton espace s’amoindrit, que tes ailes sont coupées pour un temps indéfini. Le fait de savoir que tu n’auras plus le choix entre tant de belles options, comme aller au théâtre, au cinéma, boire un coup avec des amis ou encore te balader dans les rues de ta ville sans craintes ni appréhensions, te serre le cœur. Un poids dans ta poitrine, lourd, des vagues d’angoisses qui surgissent sans prévenir. Après les annonces du Premier Ministre et du Président, tu sens comme ça bouge en toi, ça se tord, ça palpite, ça te prend sans prévenir, puis ça s’apaise un peu jusqu’aux prochaines mesures annoncées, jusqu’aux prochaines interdictions que tu vas devoir, malgré toi, accepter.


Tout va si vite. Tout paraît si absurde et caricatural autour de toi. Les événements sont annulés les uns après les autres. « La propagation est exponentielle », disent-ils. Le confinement est annoncé. Combien de temps ça va durer ?  Deux semaines ? Un mois ? Plus ? Ce virus apparaît alors comme un accélérateur de vie, mais aussi, et bien tristement, de mort.


Liberté, tu sais à quel point je te chérie. Tous les choix que je fais depuis quelques années, mes voyages, mes études, mon engagement politique et militant, et tellement d’autres choses essentielles à ta survie, sont pour te rendre hommage et te célébrer. Tu es une sorte d’étoile scintillante dans un ciel tourmenté qui m’aide à me diriger quand je suis perdue, seule sur mon embarcation de fortune.


Mais aujourd’hui, et j’en suis sincèrement désolée, je vais devoir te museler pour quelques temps. Tu ne vas pas disparaître totalement, n’aies crainte ! Seulement tu n’auras pas cette force et cette beauté des temps jadis. Tu seras simplement en attente de jours meilleurs.


Il te faudra t’armer de courage et de la patience, car le Président l’a décrété : nous sommes en guerre. Une guerre ? Vraiment ? Alors s’il en est ainsi, tu devras coûte que coûte garder cet espoir au fond de toi, celui de la puissance de la Vie qui resurgira, plus forte encore, plus majestueuse, et ce grâce à ce processus de transformation radicale et nécessaire de tout ce que nous connaissons, de tout ce que nous avons construit depuis ces derniers siècles. Nous avons agi avec nos peurs, notre soif de pouvoir toujours plus grande, nos frustrations inassumées et dangereuses. Pour tout cela, nous devons en payer le prix juste.


Ce sont de grandes responsabilités que nous avons là. Tout d’abord, sauver des vies en restant confiné.e.s chez soi (original tu ne trouves pas ?), puis une fois que l’épidémie sera passée (puisqu’elle finira bien par s’arrêter un jour...), changer le Monde. Rien que ça !


Les grèves, les manifestations, les actions politiques dans la rue, les ZAD, toutes ces tentatives qui nous ont petit à petit ouvert les yeux, qui nous ont prouvé qu’un autre chemin était possible et qu’il était urgent d’agir, n’ont malheureusement pas été suffisantes.  Mais elles ont déjà eues un impact considérable sur notre prise de conscience générale et nous ont rassemblé.e.s, pour le meilleur comme pour le pire.


Il est temps d’accepter la situation telle qu’elle est même si cela nous paraît aujourd’hui totalement anti-naturel, à toi comme à moi. Certains jours, tu me manqueras plus que tout. Mais ce qui nous fera tenir, c’est de penser que dans le nouveau monde que nous allons tenter de construire, celui, plus juste et en accord avec tes principes et tes valeurs, comme (en vrac) la solidarité,  la sororité (oui, j'insiste!), la décroissance, le partage équitable des richesses et du temps de travail, l’éducation populaire, l’abolition du patriarcat et de toutes violences systémiques qui ont déjà trop durées, dans ce monde tu pourras alors déployer à nouveau tes ailes, avec vivacité et force.


Prends soin de toi, et n’oublie pas : « l’attente est en proportion du bonheur qu’elle prépare », Michel Dupuy.



Gaëlle