jeudi 30 décembre 2021

Des nouvelles du moi

Mars 2020. Quelque chose explose, fort. Ou simplement, quelque chose vient surligner l'explosion déjà en cours. C'est un cataclysme dans nos vies déjà fragiles. Ce qui est sûr, c'est que c'est un cataclysme dans la mienne.

Le souffle coupé, mon quotidien devient rythmé par des angoisses nouvelles, des peurs. Peur de la mort, de perdre le contrôle de moi-même, de voir ma liberté si rabougrie, ou autrement dit, voir mes besoins fondamentaux qui s'assèchent jours après jours. Une sorte de torture psychologique, lente et sarcastique. Ce qui n'était qu'une petite fissure devient un trou, de plus en plus béant.

Je mets donc des trucs en place, je tâtonne. D'abord, ça ne passe pas vraiment. C'est presque pire. Puis avec du temps, beaucoup de temps, de patience, une dose d'acceptation et de bienveillance envers moi même, ça s'apaise. Des rencontres déterminantes, des discussions, des espaces de soins, me donnent la force de me sortir moi-même de cet abysse effrayant. Un long voyage commence.

Aujourd'hui, je ressens le besoin de parler à nouveau, d'écrire ce qui peut être peut rassembler. C'est une sombre période dans laquelle nous vivons. Tout craque autour de nous, et nous oblige à créer des espaces pour nous réfugier, et évoluer différemment. Se renforcer, se donner l'empathie et l'écoute qui nous manque tant. Et puis surtout, prendre le temps de réfléchir. D'analyser notre monde. De fouiller et pas seulement dans ce qui nous semble être l'évidence.

C'est un travail de fourmi, long, fastidieux, particulièrement impactant émotionnellement. C'est un travail qui demande aussi des temps de repos, profonds, réels, non discutables. Au fur et à mesure de ce dit « travail » (qui n'est peut être pas le mot adéquat), des événements concrets s'invitent dans notre quotidien. C'est ces événements qui font le plus avancer, car ils sont intrinsèquement connectés avec la Vie dans toute sa force et sa complexité, connectés aux gens qui nous entourent, et surtout à leurs peurs et leurs angoisses. Le tri est alors particulièrement difficile à faire : qu'est ce qui m'appartient ? Qu'est ce que je dois fuir à tout prix ? Vers qui ou quoi dois-je me tourner pour me protéger ?

Parfois, la collision est douloureuse. Elle vient piquer l'intérieur de soi avec une précision impeccable. Le cataclysme n'est jamais loin, il guette. Avec méthode, il surgit lorsque la garde est baissée. Mais l'empêcher à tout prix d'intervenir est une erreur, car sa présence peut également apparaître comme une bénédiction. C'est une épreuve qui force à bouger et oblige à regarder dans d'autres directions. Souvent inattendues. C'est ce qu'on peut aussi appeler « la résilience ».

Je n'ai pas vraiment de leçons à donner, mais je suis fatiguée de voir cette tendance à la paresse, qu'elle soit intellectuelle ou émotionnelle. Évoluer, que ça soit d'un point de vue personnel ou collectif, requiert de la rigueur, et beaucoup, beaucoup de temps et d'énergie. Je comprends que cela puisse paraître écrasant, inaccessible, voire réservé à des personnes privilégiées socialement et économiquement. C'est d'ailleurs majoritairement le cas, soyons honnêtes. Je sais aussi combien ce sont les femmes qui s'y collent, car on ne leur laisse guère le choix. Mais je crois que nous avons, tous et toutes, suffisamment de ressources pour créer ces nouveaux espaces de soin, d'écoute, de considération, et surtout d'entre-aide, d'auto formation, d'éducation populaire, d'autogestion.

Mes angoisses m'auront appris ça : bouge-toi le cul quand tu en as la force, fais exister ce dont tu as besoin et qui n'existe peut-être pas encore, surtout ne plie pas, continue jusqu'à ce que ça soit satisfaisant. Et quand le courage te manque, repose-toi, soigne-toi, protèges-toi, ou ne fais rien. Lâche toi la grappe.

La vie est un éternel cycle mais il ne s'agit pas de revenir au point de départ, simplement de prendre les bons embranchements quand ils se présentent, et ça, c'est pas en restant dans ta zone de confort que ça arrive.

vendredi 17 avril 2020

Soubresauts


C’est dense et complexe.

Il y a des vagues.

Parfois, c’est vécu avec une forme de sérénité, de silences, de routine qui se déroule sans accrocs.

Je suis dans les bras de mon amoureux, je me sens protégée, vivante, chanceuse.

Je mange des bonnes choses, je lis des livres qui m’inspirent, je démarre des projets qui ont du sens, je me ballade dans une nature verdoyante et paisible.

A toute heure du jour, j’entends les oiseaux et le murmure rassurant de la ville.


Et puis il y a ces soubresauts, ces éclats de conscience, ces tremblements de réalité crue et morbide.

Ceux là, ils surgissent sans prévenir.

Ou peut être que si, ils sont là depuis le début, et cette impression de sérénité n’est que surface et mirage.

Sournois, brutaux, sans pitié, ils viennent nous rappeler l’état du monde qui s’agite en nous, qui nous transperce de toutes parts, qui nous tord et nous déforme.

Je n’arrive plus à trier les informations, à trancher, à tirer des conclusions sans me faire embarquer par celles des autres.

Je sens cette lenteur, cet arrêt, ce poids que chacun.e porte.

 Les yeux se rivent sur les présumé.e.s responsables. Une rage, une colère, une indignation qui grondent et qui s’accroissent un peu plus chaque jour.

Je me dis « il était temps ».

Je me dis « j’ai beaucoup d’espoir, mais j’ai peur moi aussi ».

J'ai peur de ce nouveau monde qui se dessine avec les crayons des mêmes mains. Ce n’est pas de celui là dont je rêve.

Je m’outille. Je tente de me tenir prête au grand changement.

Puis je m’écroule en découvrant toutes ces barrières qui me retiennent malgré mon envie pressante de passer à autre chose.

Parfois je me murmure tout bas : « au moins dans le vieux monde je savais à quoi m’en tenir. »

Puis j’ai honte, parce que je sais que le mot « résilience » nous sauvera.
  


mardi 17 mars 2020

Lettre à ma liberté



 Besançon, le 16 mars 2020


Depuis quelques jours, tu paniques. Tu sens que ton espace s’amoindrit, que tes ailes sont coupées pour un temps indéfini. Le fait de savoir que tu n’auras plus le choix entre tant de belles options, comme aller au théâtre, au cinéma, boire un coup avec des amis ou encore te balader dans les rues de ta ville sans craintes ni appréhensions, te serre le cœur. Un poids dans ta poitrine, lourd, des vagues d’angoisses qui surgissent sans prévenir. Après les annonces du Premier Ministre et du Président, tu sens comme ça bouge en toi, ça se tord, ça palpite, ça te prend sans prévenir, puis ça s’apaise un peu jusqu’aux prochaines mesures annoncées, jusqu’aux prochaines interdictions que tu vas devoir, malgré toi, accepter.


Tout va si vite. Tout paraît si absurde et caricatural autour de toi. Les événements sont annulés les uns après les autres. « La propagation est exponentielle », disent-ils. Le confinement est annoncé. Combien de temps ça va durer ?  Deux semaines ? Un mois ? Plus ? Ce virus apparaît alors comme un accélérateur de vie, mais aussi, et bien tristement, de mort.


Liberté, tu sais à quel point je te chérie. Tous les choix que je fais depuis quelques années, mes voyages, mes études, mon engagement politique et militant, et tellement d’autres choses essentielles à ta survie, sont pour te rendre hommage et te célébrer. Tu es une sorte d’étoile scintillante dans un ciel tourmenté qui m’aide à me diriger quand je suis perdue, seule sur mon embarcation de fortune.


Mais aujourd’hui, et j’en suis sincèrement désolée, je vais devoir te museler pour quelques temps. Tu ne vas pas disparaître totalement, n’aies crainte ! Seulement tu n’auras pas cette force et cette beauté des temps jadis. Tu seras simplement en attente de jours meilleurs.


Il te faudra t’armer de courage et de la patience, car le Président l’a décrété : nous sommes en guerre. Une guerre ? Vraiment ? Alors s’il en est ainsi, tu devras coûte que coûte garder cet espoir au fond de toi, celui de la puissance de la Vie qui resurgira, plus forte encore, plus majestueuse, et ce grâce à ce processus de transformation radicale et nécessaire de tout ce que nous connaissons, de tout ce que nous avons construit depuis ces derniers siècles. Nous avons agi avec nos peurs, notre soif de pouvoir toujours plus grande, nos frustrations inassumées et dangereuses. Pour tout cela, nous devons en payer le prix juste.


Ce sont de grandes responsabilités que nous avons là. Tout d’abord, sauver des vies en restant confiné.e.s chez soi (original tu ne trouves pas ?), puis une fois que l’épidémie sera passée (puisqu’elle finira bien par s’arrêter un jour...), changer le Monde. Rien que ça !


Les grèves, les manifestations, les actions politiques dans la rue, les ZAD, toutes ces tentatives qui nous ont petit à petit ouvert les yeux, qui nous ont prouvé qu’un autre chemin était possible et qu’il était urgent d’agir, n’ont malheureusement pas été suffisantes.  Mais elles ont déjà eues un impact considérable sur notre prise de conscience générale et nous ont rassemblé.e.s, pour le meilleur comme pour le pire.


Il est temps d’accepter la situation telle qu’elle est même si cela nous paraît aujourd’hui totalement anti-naturel, à toi comme à moi. Certains jours, tu me manqueras plus que tout. Mais ce qui nous fera tenir, c’est de penser que dans le nouveau monde que nous allons tenter de construire, celui, plus juste et en accord avec tes principes et tes valeurs, comme (en vrac) la solidarité,  la sororité (oui, j'insiste!), la décroissance, le partage équitable des richesses et du temps de travail, l’éducation populaire, l’abolition du patriarcat et de toutes violences systémiques qui ont déjà trop durées, dans ce monde tu pourras alors déployer à nouveau tes ailes, avec vivacité et force.


Prends soin de toi, et n’oublie pas : « l’attente est en proportion du bonheur qu’elle prépare », Michel Dupuy.



Gaëlle



samedi 27 avril 2019

Plongeon


Voilà deux mois et quelques jours que je suis arrivée à Rio. Je crois que je ne mesure pas encore très bien l’importance de ce voyage, tout l’impact qu’il a et qu’il aura sur moi, cela sûrement pour le reste de ma vie.


Je ne cesse de penser à tous ces paramètres qui petit à petit s’entremêlent pour ne former qu’un seul et même amas de souvenirs, d’expériences, de rencontres, et qui  indéniablement m’obligent à élargir ma conscience individuelle et ma compréhension du monde de manière de plus en plus globale. En fait, je crois que plus une personne voyage, plus elle découvre des endroits basés sur des codes culturels et sociaux différents (et évidemment différents de ce qu’elle connaît), plus elle parle de langues, et plus elle peut élargir sa vision du monde, son identité, ses questionnements profonds. Le voyage apprend à relativiser, à mettre les choses en perspectives, et également à se situer en tant qu’individu. Ceci en est une définition très personnelle mais je crois que la réalité n’est pas exactement celle là pour tout le monde. Certaines personnes ont beau avoir beaucoup voyagées, elles restent toujours aussi étriquées qu’en restant chez elles et continuent à reproduire ce qu’elles connaissent, à se baser finalement sur les mêmes systèmes de valeurs même si elles ne sont plus forcément valables au delà d’une certaine zone géographique.


A ce sujet, je me rends compte à quel point le fait d’être française prend une énorme place dans mon identité, même si j’aurais tendance à vouloir le mettre de côté, revendiquer ma multiplicité et mon envie de ne pas être rangée dans des cases, mais c’est indéniablement là, et je ne peux pas y faire grand-chose. La France reste un pays de prestige, et énormément d’artistes, écrivains, poètes, penseurs… y sont issus. Je suis assez surprise de voir que même au Brésil beaucoup de références sont européennes, dont françaises. Finalement, je voyage à l’autre bout du monde pour entendre parler des mêmes gens… C’est moi ou quelque chose cloche au niveau de la représentativité ?  Evidemment je ne parle même pas du côté colonisateur, qui peut expliquer aussi en partie cette adoration de la France et de la culture française (on en parle de notre Dame ? Parce que personnellement ça m’a beaucoup agacé... comparé à toutes les catastrophes normalisées passées sous silence, rien qu’au Brésil…).


Je crois que l’une de mes plus grandes découvertes de ces derniers mois (et cela a commencé en France en préparant mon départ) a été d’entrer petit à petit dans cet univers des « voyageurs ». Même en étant partie un an au Portugal je n’avais pas vraiment fréquenté de voyageurs, j’étais plutôt avec des gens sédentaires, ou des voyageurs sédentarisés au moment où je les ai rencontrés. Je me rends compte de l’énorme potentiel de cette pratique, et aussi des diverses manières de la vivre. Je crois que les voyageurs constituent une grande famille, une sorte de communauté, qui se subdivise en plusieurs petites communautés, comme dans un arbre généalogique. Bien sûr il y a une infinité de manière de voyager, mais je crois quand même qu’il est possible de classifier cela afin de mieux comprendre et surtout, de mieux savoir quelle est la sienne (de manière !). Ceci demande, il me semble, un long et complexe processus intimement lié à ses valeurs profondes, son éducation et son expérience de vie. Si je prends mon exemple, je crois que j’ai déjà changé de subdivison, et que j’aspire encore à en changer. J’ai commencé par des petits voyages assez confortables, où je n’avais pas grand-chose à décider, simplement à observer et suivre, pour aller ensuite vers un type de voyage un peu plus aventureux mais toujours bien balisé cependant, pour entrer petit à petit dans un cadre plus flou, plus multiple, dans lequel les limites sont à dessiner au fur et mesure du temps et des rencontres. Mais malgré cela, et malgré mon impression d’avoir grandi et avancé, d’avoir combattu ma peur de l’inconnu,  d’avoir cette fierté de pouvoir parler plusieurs langues et m’entendre avec des gens de différentes nationalités, je sens que je pourrais aller encore plus loin. Comment ?


En fait je me suis également rendu compte à quel point le fait d’être connecté était (apparemment) indispensable, et rendait les choses faciles. Sans mon portable, sans mes applications, je suis perdue. Déjà, je dois admettre à quel point mon sens de l’orientation est nul et que sans Google maps je suis bloquée pour me déplacer. Pareil pour les infos, les événements… sans Facebook, sans What’s App, je m’ampute de beaucoup de possibilités, et je me coupe également de ceux.celles qui sont loin. Comment s’en passer ?


Il y a environ trois semaines je me suis fais voler mon téléphone dans la rue. J’étais seule dans un quartier peu recommandé de nuit (alors que le jour à ce même endroit il n’y a aucun danger), et deux jeunes garçons me sont tombés dessus et m’ont obligés à leur donner mon précieux sésame. Ça m’a vraiment couté de leur tendre volontairement (et sous des menaces de mort…). Ils voulaient aussi ma carte bleue mais j’ai réussi à m’en sortir par une pirouette, prétextant que je ne l’avais pas. J’ai eu de la chance qu’ils m’aient crûs et laissé partir sans encombre. J’ai tout de suite cherché une solution pour avoir un portable de nouveau, car cela me bloquait dans un peu près tout (notamment, le plus important, les déplacements, que je fais essentiellement en bus ou uber, sachant qu’il n’y a aucun panneau d’affichage sur les arrêts de bus et que les brésiliens ne sont pas toujours à même de t’aider étant donné le nombre de bus et de lignes différentes). C’est un peu triste à dire mais le portable devient alors un outil quasiment indispensable. Il est le réceptacle de tes souvenirs, ton lien social, ta boussole, ton traducteur… Je me demande vraiment comment les gens faisaient avant, sans. Eux.elles,  c’était des VRAI.E.S voyageur.euse.s, le level ultime dans mon classement, la subdivision de l’extrême ! Et même si tout devait prendre plus de temps, devait être plus fastidieux, alors tout devenait aventure, et tout forçait à entrer beaucoup plus en contacts avec les locaux, seuls à même de donner des précieuses informations. Des fois j’aurais presque envie de revenir en arrière et voir ce que ça fait de vivre sans cet objet, mais le confort est tel (et franchement dans des endroits comme Rio ça peut tellement te sauver la vie) que je ne m’y risquerais pas, et je n’arriverais pas vraiment à faire sans maintenant que je l’ai expérimenté. Aussi, un des points positifs du portable, c’est de pouvoir se décider au dernier moment, et voir qu’internet dans beaucoup de cas PEUT répondre à tes désirs. Envie de bouffer des sushis ? Hop, demandons à google. Envie de partir dans une île et réserver une auberge sympa et pas cher ? En moins d’une heure ça peut être plié. Alors comment choisir CONSCIEMMENT de ne pas utiliser ces facilités ?


Ma conclusion à ce sujet est vraiment de réussir à les utiliser sans pour autant en abuser, ce qui est pour ma part une tâche particulièrement difficile, qui m’amène souvent à m’auto-juger, et à sentir un gros décalage entre cette impression que l’on pourrait avoir de l’extérieur, c'est-à-dire « ouah t’es trop une ouf de voyager, sauter dans l’inconnu, moi j’oserais jamais » et en fait la réalité qui est des fois pas si folle que ça, juste je suis la recette et j’applique les codes. Simple, efficace, et je vous assure, la plupart du temps, confortable.


Autre point important que ce voyage a souligné, qui me concerne d’ailleurs plus directement et de manière strictement personnelle, c’est mon amour et mon besoin du détail. Je suis une personne de détail. Je m’explique : j’ai un type de personnalité que je qualifierais d’assez « analytique » (je suis verseau pour ceux.celles à qui ça parle), c'est-à-dire que je passe pas mal de temps à réfléchir, sur moi-même, sur le monde en général, sur les autres, ma relation à eux, ce qu’ils dégagent, ce que je dégage…  et le voyage amplifie encore plus cette tendance à l’introspection, cette porosité à ce qui m’entoure et les effets que ça produit sur moi. J’ai d’ailleurs essayé d’exprimer cela en photo-performance mais je ne sais pas si c’est très réussi, j’attends de voir le résultat. En fait, tous les paramètres, les « détails », vont avoir leurs importances, et si j’essaye de faire comme si ça n’en avait pas, la vie me rattrape et me le fait bien remarquer. Je vais vous donner un autre exemple pour illustrer mon propos. Après avoir été en collocation avec des brésilien.ne.s pendant un mois et avoir ensuite un peu vadrouillé avec mon amie Jenifer dans des hostels/rbnb, j’ai commencé à travailler dans un premier hostel en volontariat. J’avais envoyé des demandes dans plusieurs autres hostels mais le manager de celui là avait répondu rapidement et très positivement, ce qui m’avait donné envie d’essayer, d’autant qu’il était plutôt proche de mon école et dans un quartier vivant et central. J’y suis d’abord allé en tant que cliente, pour prendre la température, avant de commencer réellement à y travailler. Mes premières impressions étaient plutôt mitigées, mais je me suis dis que le fait de travailler allait me faire changer de vision, et que c’était dommage de s’arrêter à ma première impression, surtout que finalement je n’avais pas vraiment d’autres possibilités à ce moment là.  Sans rentrer dans les détails, je n’étais pas faite pour travailler et vivre dans cet hostel, cela ne me correspondait juste pas du tout, le manager apparemment sympa et ouvert s’est avéré très mauvais communiquant, le staff était composé majoritairement d’anglais qui avait pour but de se bourrer la gueule le plus possible en jouant au bière pong, et comme j’avais mes cours à côté et que je devais me lever tôt tous les matins, vous imaginez bien que ça sentait mauvais depuis le départ. Je me suis fais virer au bout de deux semaines et demi, car selon les dire du manageur je n’étais pas « assez impliquée dans la vie de l’hostel ». Première fois qu’on était vraiment d’accord finalement, je n’avais rien à y faire, et même si j’y ai rencontré des personnes géniales, il fallait absolument que je parte le plus vite possible et que je trouve autre chose. Et là, de manière assez magique et fluide, les choses se sont débloquées : j’ai pris quelques nuits chez une copine française, Laëtitia de la chaîne LeCorpsLaMaisonL’Esprit qui avait un lit de libre, ça m’a permis de me poser quelques jours et de chercher autre chose, de recontacter des hostels que j’avais déjà contacté au début mais qui ne cherchaient plus de gens à ce moment là, et par miracle un hostel m’a répondu en disant qu’ils cherchaient des gens immédiatement. Me voilà, 4 jours plus tard, dans un nouvel hostel, qui correspond beaucoup plus à ce dont j’avais besoin. Calme, une bonne communication dès le départ, près de la nature et de la plage, familial, axé sur de la bonne bouffe, lumineux et spacieux... Tout ce dont, il me semble, il m’avait manqué jusqu’à maintenant. Au moment où j’écris ça fait deux semaines et de demi que j’y suis, et je compte y rester pour un petit temps encore, jusqu’à ce que d’autres envies/besoins se présentent à moi.

 
Le dernier point, et pas des moindres, concerne la difficulté à m’intégrer dans le réseau artistique de mon école, et de la ville en général. En comparaison avec ce que j’avais pu vivre au Portugal où tout était relativement facile d’accès, je dois ici accepter ici le fait que je n’aurais jamais cette intégration, cette fluidité, et que par-dessus cela le pays traverse une crise politique et sociale énorme et l’art n’est malheureusement pas DU TOUT la priorité. Plus de ministère de la culture depuis quelques mois. Plus de subventions (ou si peu), plus de soutien, si ce n’est le soutien des gens entre eux, déjà épuisés par les conditions de vie et de travail difficiles. La plupart des bréslien.nne.s ont deux, voir trois ou quatre travails pour s’en sortir. Les trajets coûtent cher et sont longs. Tout le monde n’a pas le temps ni l’argent de sortir le soir, de faire de nouvelles rencontres. Et puis la mentalité est très particulière, j’essayerai d’en parler plus en détails dans mon prochain texte. En conclusion, je suis assez déçue de ce que je vis artistiquement parlant, et c’est aussi en partie de ma faute car je pourrais aller plus à la pêche aux informations, mais je me sens un peu seule dans ma quête et j’aurais besoin d’être plus guidée. J’ai alors décidé de me concentrer sur des objectifs plus personnels liés à ma recherche, notamment à travers des interviews de personnes qui correspondent aux questions que je me pose notamment sur le lien entre l’art et la politique. Plus de nouvelles à venir.


Je ne sais pas si ces quelques lignes rendent compte de la complexité de ce que je peux vivre ici, et surtout celle de trouver ma place au milieu de tous ces aspects du voyage. J’ai déjà parlé de la beauté de la ville, la possibilité de s’enivrer sur des rythmes de samba en buvant des délicieuses Caipirinhas (que j’ai d’ailleurs appris à faire !), l’énergie des gens et leurs sourires malgré les problèmes… Tout ceci me fait aimer Rio au point de savoir que j’y retournerais sans aucun doute, mais c’est aussi une sacrée difficulté que de me trouver du temps pour être seule avec moi-même. Ecrire ce texte. Penser. Lire. Aimer. Me nourrir bien. Dormir suffisamment malgré le fait que je partage un dortoir avec dix autres personnes. Appeler mes proches. Toutes ces choses qui font que la vie prend une consistance suffisante et me rend heureuse. Suis-je heureuse ? Je le crois. Je le sens parfois, un peu derrière mes petits nuages de questions et de doutes. Je remercie la vie mille fois de me donner cette opportunité, et de m’apporter des solutions quand je rencontre des problèmes. De m’aider à prendre confiance, en moi, et en toutes les personnes qui sont mises sur mon chemin et qui parfois me rendent incroyablement heureuse et fière.



MERCI ! 



 

lundi 11 mars 2019

Premiers jets


Voilà trois semaines que je suis à Rio. J’aimerais essayer de partager ici quelques moments, quelques sensations, du pire comme du meilleur. De la beauté comme j’en ai rarement vue à des situations quelques peu choquantes, déstabilisantes. Mais tout cela ne fait que commencer. 
Tout d’abord je me rends compte que je suis arrivée à un moment très particulier, l’avant-carnaval, et aussi de manière plus générale, juste après les élections présidentielles qui sont le résultat d’une énorme crise sociale et économique au Brésil. Je ne vais pas rentrer dans trop de détails car je ne me sens pas encore assez à l’aise, je ne comprends encore pas très bien comment tout ça fonctionne et ça reste un autre monde, très loin du mien, avec une histoire dense et complexe. 
Ayant fait déjà quelques visites avec des guides assez exceptionnels, des guides qui n’essayent pas de cacher la réalité mais au contraire qui mettent en lumière les paradoxes de cette ville, sa beauté autant que sa réalité sombre et poignante, j’ai déjà pu percevoir quelques fonctionnements que je vais essayer de mettre en mots. 

Tout d’abord, il faut savoir que l’esclavage ici a été abolit il n’y a que cent cinquante ans (c’est cinquante ans de plus qu’en France par exemple) et que cela a un énorme impact sur la vie quotidienne des gens encore aujourd’hui. Le Brésil est une société très raciste. Pour nous, européens, qui sommes également baignés dans du racisme et toutes formes de discriminations en général, c’est cependant un autre regard à avoir car le racisme n’est pas vraiment le même. Il est plus visible encore.  Plus frontal. En fait tout ici est plus visible et plus frontal. Je pense d’ailleurs que c’est le cas dans beaucoup de pays d’Amérique Latine. La richesse, la pauvreté, la misère, le luxe, la fête à n’en plus finir à côté de gens qui vivent et dorment dans la rue, qui ramassent les canettes vides pour faire quelques sous en les revendant pour le fer qu’elles contiennent, et bien d’autres joyeusetés encore. En France par exemple la classe majoritaire est la classe moyenne, et même si elle s’appauvrit et se précarise d’année en année, elle reste majoritaire. Les pauvres sont plutôt cachés, exclus, ont honte de leur précarité et préfèrent la masquer. Ici au Brésil la classe moyenne est bien plus réduite, et avec les nouvelles mesures gouvernementales elle tend encore à diminuer. Les seules aides disponibles, majoritairement mise en place par le gouvernement de Lulla sont supprimées ou en cours de suppression. La poignée de riches dirigent et imposent les règles. Evidemment des blancs, des hommes, mais ça… on connaît aussi par chez nous. 

Sachant tout ça, j’arrive juste avant la fête la plus importante de la ville, voir du pays entier, cette fameuse fête où tout est permis, où toutes les apparences sont transformées, les peaux luisantes de paillettes, les corps dénudés, et les passions déchaînées. Est-ce que vous sentez le paradoxe ? 
Je pense sincèrement qu’il est difficile de ne pas se rendre compte, une fois sur place, de cette grande incohérence, de ce malaise. Mais ce qui m’a le plus surpris, c’est qu’il est aussi très facile de faire semblant de ne pas le voir, de regarder ailleurs. Se perdre dans la beauté de la ville, dans les rythmes endiablés de sambas, dans le spectacle fabuleux des chars qui défilent, dans la chaleur des rencontres, l’alcool, les bouchent qui s’embrassent sans honte aucune. Cette culture étant si riche, si dense, si métissée, il est impossible de ne pas se laisser enlacer par elle. Elle nous berce joyeusement. Jusqu’au moment où… la fête ne suffit plus à faire illusion, à boucher les trous. Pour moi c’était le premier jour de carnaval où ça s’est fissuré. Je me suis rendue compte du trop. Je n’avais pas réussi à trouver le bon lieu ou être, où me sentir bien.  Ce que j’avais jusque là plutôt bien réussi à faire et sans trop d’effort. 

Ce soir là, la beauté a disparue et a laissé place à une odeur qui m’est vite parue insupportable : la viande brûlée. Voilà comment je résumerais cette soirée, par cette odeur qui reste, qui s’incruste, qui étouffe. J’ai été étouffée par cette ambiance de fête, qui pour le coup n’avais rien d’intéressant et encore moins de profond. Beaucoup de superficialité, de paraître. Ceci est un des versants du carnaval (peut être aussi un des versants du Brésil), mais il cohabite très bien avec beaucoup d’autres aspects, notamment l’amour de la vie et la joie d’exister, de s’aimer, de célébrer. Je trouve que jusqu’à maintenant les brésiliens gagnent la palme de la célébration, du jaillissement de vie, et d’avoir cette liberté d’assumer ce droit à en jouir pleinement, sans honte. Quand je ressens ces moments là, et j’en ai vécu quelques uns déjà, je me dis qu’il serait extrêmement triste de vivre une vie sans ces petites pépites qui donnent du sens à l’existence. De juste passer à côté. De même pour les paysages. Il y a des paysages incroyables partout sur Terre mais une fois que tu commences à en voir, tu te dis que tu ne peux plus vivre sans cette beauté, ces petites piqures esthétiques qui font tellement de bien à l’âme… Et on s’habitue plutôt vite à la beauté une fois qu’on y a goûté. La grisaille nous paraît vite peu attractive. Et l’aseptisation de nos sociétés en comparaison à cette vie qui jaillit,  qui bien sûr a un côté épuisant et douloureux, car voir la misère dans les yeux est un événement qui ne laisse pas indifférent… Mais qui, bizarrement, a un côté rassurant. On ne peut pas cacher tant de problèmes et d’inégalité à la fois. On ne peut pas faire comme si. Alors tout est là sous nos yeux, et nous oblige, à un moment où à un autre, à se positionner. Qui suis-je dans tout ça ? Mes privilèges ? Mes problématiques ? que puis-je faire ? Comment ne pas être juste un touriste de plus ? Je trouve ces questions très compliquées et très prenantes pour la simple et bonne raison qu’il est difficile d’y répondre sans rester un certain temps dans un endroit. Comprendre. Parler avec les gens, les écouter, les observer. Mettre en perspective les points de vues, faire des expériences diverses et en tirer ses conclusions. Voilà comment on peut arriver à se positionner. Mais cela demande du temps et un état d’esprit particulier. Voilà pourquoi je suis heureuse de rester un certain temps ici, pour m’imprégner et me positionner. En tant que femme, européenne, blanche. En tant qu’être humain qui a envie de croire en d’autres être humains, se laisser guider par eux, et donner tout ce que je peux donner tout en respectant qui je suis et mes limites.  

Voilà. Rien que ça. C’est avec cet état d’esprit que je commence le voyage. Avec déjà de merveilleuses rencontres, notamment une française, une âme voyageuse, je crois qu’on s’est reconnues dans cette confusion délicieuse et qu’on ne s’est pas vraiment lâchées depuis. La vie est bien faite des fois, quand on est juste avec soi. Et puis tellement d’autres aventures qui arrivent. Tellement de sourires des gens aux moments où on ne s’y attend pas. Cette fluidité du corps et de l’esprit qui est si bloquée là d’où je viens, si restreinte. Chez moi, le corps est contrôlé par l’esprit. Ici, avec cette chaleur, le corps existe avec plus de force. Il transpire. Il colle. Il est visible. La peau, les plis, la graisse, les fesses. J’ai acheté mon premier maillot de bain brésilien, j’aimerais moi aussi ne pas avoir honte de mon corps de femme. J’aimerais m’en foutre d’avoir quelques bourrelets. J’aimerais aimer voir tous les corps et les aimer pour ce qu’ils sont. Le Brésil me fait du bien. Le Brésil me prend dans ses bras et jour après jour, je grandis avec lui.






mardi 29 janvier 2019

De Rioz à Rio

Je m’appelle Gaëlle, et je vais avoir vingt trois ans dans exactement huit jours au moment où je commence ce texte. Je suis née à Besançon, ville que je ne cesserai jamais d’aimer de tout mon cœur, puis j’ai grandi en Haute-Saône, dans un petit village qui s’appelle Montboillon, pas plus de cent cinquante habitants. J’ai une sœur, Eva, qui vient d’avoir dix huit ans, et des parents qui se sont séparés quand j’avais neuf ans. Avant de revenir vivre à Besançon, cela fait plus de cinq ans maintenant, j’ai vécu dans d’autres petits villages, puis des petites villes, dont Rioz, avec un « z ». Dans exactement un mois je m’envole pour Rio, sans « z » cette fois. J’ai perdu une lettre au passage, je me suis allégée pour pouvoir prendre mon envol (un peu de poésie dans ce monde qui en manque cruellement, c’est cadeau !). Que s’est-il passé alors, pour que je perde une lettre ? Qu’est ce qui, dans mon histoire, m’emmène à partir à l’autre bout du monde à ce moment là de ma vie ? Je ne sais pas si je pourrais bien répondre à cette question puisqu’il y aura toujours une part de mystère dans ce choix, comme dans tous les autres. Mais ce choix là, je crois que j’ai envie d’en parler un peu, parce que je ne suis pas la seule à le faire, et je ne serai sûrement pas la dernière.



Partir loin. Ou simplement partir, pas forcément loin, mais est-ce vraiment la quantité de kilomètres qui comptent ? Parfois il suffit simplement de faire quelques mètres pour être dépaysé, voir quelques pas de côté. Mais ça, c’est encore un autre débat… J’ai fais le choix, pour mon premier grand voyage (puisque le Brésil sera le deuxième !), de rester en Europe. Ça me rassurait, je n’étais pas prête à franchir autant de mer d’un coup (ou peut être à quitter la mienne ?), à ne pas avoir la possibilité de rentrer subitement si je ne me sentais plus capable d’être loin, sans mes repères. J’avais envie de partir, déjà depuis quelques années, je sentais que c’était là, que ça bouillonnait, que ça me poussait de l’intérieur, mais j’ai attendu d’être prête. Vraiment prête. On n’imagine pas la quantité de choses qu’un départ (à partir du moment où la date est fixée et les billets d’avion achetés) peut engendrer à l’intérieur de soi. Un grand bouleversement, qui vient nous rappeler (ou nous apprendre) toutes ces peurs tapies au fond de nous, toutes les croyances qu’on a pu emmagasiner depuis toutes ces années, l’insécurité, l’impression qu’on y arrivera jamais ou qu’on est trop petite pour une si grande aventure. Alors il y a sept cent jours et quelques, j’ai pris mon courage à deux mains, et j’ai décidé que j’en serai capable. Moi, Gaëlle Hauger, franc-comtoise ayant grandi dans un petit village de cent cinquante habitants, moi qui rêve d’être artiste et d’en vivre, ayant opté (en détournant le système, car mon lycée de rattachement se trouvait à Vesoul !) pour une filière littéraire cinéma et théâtre dans le lycée du centre ville de Besançon, puis pour une formation qui me destinait à devenir comédienne, moi qui avait des étoiles pleins les yeux dès que quelqu’un me parlait du voyage (du grand !) et de toute l’expérience que ça avait l’air d’apporter, et bien oui, puisque d’autres l’avaient fait et n’avait par l’air de le regretter (au contraire…), pourquoi pas moi ?



Pour ajouter un peu de piquant, je me suis donné un grand défi : je suis partie seule, dans un pays dont je ne connaissais pas la langue. Je baragouinais en anglais (au début c’était une catastrophe, je traduisais tout littéralement et mes « th » sonnaient vraiment très « ze »), et j’étais incapable d’avoir une conversation en portugais (oui, je suis partie à Porto, pendant un an, en Erasmus). Et je peux vous le dire en toute honnêteté : j’ai galéré ma race. Je me suis sentie dépossédée de moi-même, je ne savais plus très bien qui j’étais sans ma langue et mes habitudes, sans la compréhension des événements qui se déroulaient devant moi (et mon besoin de contrôler ma vie…). J’étais perdue, vraiment, pour de vrai, et j’ai eu des moments où je me sentais aspirée par un énorme vortex invisible. J’ai pensé « c’est trop pour moi, je me suis fourrée dans un challenge que je ne vais jamais relever, je ne suis pas assez solide, je n’ai pas assez confiance en moi », mais pour autant je n’ai jamais voulu rentrer à Besançon, parce qu’à côté de ça il y avait des choses tellement merveilleuses que je vivais, des personnes tellement incroyables que je rencontrais, que je ne pouvais que me dire « tiens bon, ça va passer, accroche toi et ravale ton égo ».



Les premières semaines, je me sentais assez fragile et démunie. Je n’avais pas vraiment le temps ni l’énergie de penser tellement l’effort pour essayer de comprendre ce que le gens disaient était énorme et épuisant. J’étais épuisée. Et à la fois, je ne me suis jamais sentie aussi vivante, aussi en vie, en mouvement, en expérience, que pendant ces premiers mois. Tout était nouveau, chaque moment était une épreuve : demander du pain à la boulangère, suivre des cours en portugais, être en collocation avec deux personnes qui ne parlent pas les mêmes langues que moi, devoir parler de choses profondes en anglais, comme de politique, sachant déjà qu’en français je galère, faire des courses dans des magasins que je ne connais pas, être loin des gens qui me rassurent... Et pourtant, ça restait très semblable à ce que je connaissais au niveau des codes et des normes, du fonctionnement global de la société. Alors imaginons sur un autre continent… Je ne dis pas que j’ai bien fais ou mal fais de commencer par l’Europe, certain.e.s vont directement loin et c’est aussi très bien comme ça. Je dis que pour moi, à ce moment là de ma vie, c’était déjà énorme et que j’avais besoin d’y aller par étape. Même chose pour la langue : le portugais reste une langue latine et bien qu’elle soit dure à apprendre, il y a pleins de mots très proches du français. Mais je vous assure que vivre avec trois langues en permanence dans la tête, ça fait bizarre… surtout quand avant on était pas dans une grande dynamique linguistique avant de partir… se surprendre à penser en anglais, tourner en boucle sur certains mots ou expressions qui nous intriguent sans comprendre vraiment pourquoi, être incapable de prononcer certains sons sans avoir l’air super ridicule et « petite française », bienvenue dans mon quotidien pendant un an. D’ailleurs, je ne me suis jamais sentie aussi autant « française » qu’à l’étranger. Je l’ai compris quand mon colloc espagnol mettait le vin rouge au frigo… Grand dieu.



Bref. Mes premiers mois ont été incroyablement riches sur pleins de plans, notamment le plan artistique puisque j’ai du contourner mon handicap du langage pour créer, ce qui m’a amené à découvrir pleins de nouveaux horizons. Puis, au bout d’un moment, de manière la plus naturelle du monde, j’ai retrouvé mes repères dans le chaos. La difficulté avec ce processus, en tout cas pour ma part, c’est que je me suis tellement adaptée que j’en suis venue à oublier un peu ce dont j’avais vraiment besoin. Ce qui me correspondait vraiment. Alors j’ai tenté pleins de trucs super nouveaux, sur le moment je me suis sentie grandie, j’étais même fière de moi en me disant par exemple « ouah aujourd’hui tu as mis en scène une anglaise, deux portugais et une espagnole tout en parlant anglais, et ça s’est bien passé, ils t’ont compris et en plus le processus est intéressant, t’es une ouf meuf !!! », ou « putain t’as réussi à parler d’anarchisme en anglais là, ou de sexisme, ou de racisme, et tes arguments étaient pas si dégueu ! » ou encore « j’ai compris au moins 20% du cours aujourd’hui, quelle avancée ! », et pleins d’autres trucs du genre… Mais je suis arrivée à un stade où je me suis un peu oubliée. Je pensais toujours aux autres, à passer du temps avec mes nouveaux amis puisque je ne les reverrai peut être plus dans quelques mois, ou je me disais qu’on ne sera plus réunis tous ensemble, et que c’était le moment d’en profiter… et j’ai fini par oublier d’écouter ce dont j’avais vraiment besoin : la solitude. Pas la solitude qui résulte d’un gros trou béant que tu n’arrives pas à combler toi-même parce que tu n’as pas encore assez confiance, ou que tu es à côté de toi-même, celle là bon c’est une autre affaire pour la faire disparaître, mais je parle de la solitude dont on a besoin pour se recentrer, pour se comprendre, pour s’écouter et prendre soin de soi, vraiment, profondément et sincèrement. Celle là je ne sais d’ailleurs pas vraiment si je l’ai trouvée… mais en tout cas, à ce moment là de ma vie, j’ai compris qu’elle était en train de se noyer dans un torrent d’informations qui prenaient toute la place. J’étais pleine, comme un œuf, et ma petite voix intérieure n’arrivait plus vraiment à se frayer un passage, ou alors pour me dire « ça va plus, rien ne va plus, tu as beau être entourée de personne que tu aimes, tu es en train de les détester petit à petit, tu ne prends plus plaisir, tu t’éteins ».



Voila schématiquement le deuxième grand moment de mon voyage, après l’excitation intense du début, le « tout est nouveau tout est incroyable », je m’étais complètement emmêlée dans moi-même, jusqu’à en perdre mon amoureux de l’époque qui lui-même ne me reconnaissait pas. La fin de mon année Erasmus n’a pas été si facile, car je n’ai pas bien réussi à retrouver mon chemin au milieu de cette jungle luxuriante, j’avais déjà trop intégré ce nouveau rythme de vie, et je n’arrivais pas bien à m’en protéger, à m’en détacher. J’ai fais ce que j’ai pu sur le moment, je suis aussi tombée amoureuse malgré moi, ce qui n’a pas facilité les choses… je vivais dans une sorte de cauchemar qui ne pouvait s’arrêter que quand j’aurais quitté définitivement la ville… et mon appartement, lieu de nombreuses fêtes et autres aventures sentimentales douloureuses (et aussi joyeuses, mais ça je n’en m’en souvenais plus vraiment). En fait, je n’ai pas envie de qualifier cette fin d’Erasmus comme un moment un peu naze, parce que quand même il y eu pleins de trucs super chouettes et j’ai continué d’être heureuse d’y être et de vivre ce que je vivais jusqu’à la fin, mais à l’intérieur de moi c’est comme si j’avais du mal à me sentir vraiment bien, détendue et reconnaissante. Comme si finalement je n’avais plus d’espace pour accueillir quoi que ce soit de nouveau. Bien sûr l’idée de partir me rendait triste car j’adorais la ville, et je me suis fais des amis qui sont devenus (et qui restent) très importants pour moi, qui m’ont fait découvrir des nouvelles manières d’investir des relations, des nouvelles manières de se comprendre et d’apprendre à se connaître, plus instinctives, plus graduelles. J’étais tiraillée entre le besoin net de me casser de cet endroit (chez moi, j’entends, cet appartement dans lequel j’avais déjà passé trop de temps à mon goût, qui était devenu une sorte de prison mentale), et la peur de rentrer, de retrouver ma réalité planplan, ma ville que je connais par cœur, mon université… ça me paraissait fade d’avance.



Mais, contre toute attente, rentrer était vraiment nécessaire et agréable. J’ai été rapidement très occupée (le secret pour ne pas sombrer et bader toute seule en repensant à son année Erasmus), et j’ai eu une chance incroyable puisque j’ai trouvé un logement en sous-location au centre ville, où je vivais seule. Après tant de bruit, tant d’informations, tant d’individus à qui s’adapter en permanence… la solitude. La bonne. Le silence. Le calme. Personne pour m’emmerder. Personne pour passer le temps et avoir de chouettes conversations aussi… mais bon, on ne peut pas tout avoir ! Le retour aux sources. Mes sources. Le Doubs, les bars (CHERS), les soirées, les copains, les cours, le travail mais cette fois qui fait vraiment sens, pas un travail alimentaire à la con (bon à part le fait que j’ai bossé en usine en arrivant mais c’était que deux semaines donc ça compte pas trop), ma famille. La vie qui reprend. Mais pas la même qu’avant, une différente, une plus éveillée, plus curieuse, plus consciente des détails et des gens. Mon regard avait changé, il était devenu plus doux, plus sensible. Je me sentais plus affirmée sur pleins de sujets, et tellement contente de reparler ma langue… de retrouver toute la subtilité d’une langue qu’on maîtrise, la fluidité, le confort. Je me suis dit alors que le confort n’était pas forcément une mauvaise chose (moi qui l’avait fuit à tout prix), qu’il était nécessaire à certains moments de sa vie. Je n’aurais pas pu repartir directement ailleurs, j’avais besoin de digérer, de me poser, de réfléchir, et de me préparer au prochain voyage. Je savais que le Brésil m’attendait, sagement, enfin sagement… plutôt tumultueusement, si on en croit son état politique actuel.



En fait, une fois qu’on a goûté à ce tremblement de terre que laisse le voyage en nous, et je crois que beaucoup de voyageu.se.r.s sont d’accord là-dessus, on tire un énorme trait sur toutes nos certitudes (si tant est que nous en avions), et on en redemande. Pour un tas de raisons. Pour ma part, je me dis que rester trop longtemps sans bouger est synonyme de mort. Encore une fois, bouger n’est pas forcément aller à l’autre bout du monde. Bouger est un état d’esprit, une philosophie de vie à part entière. Bouger veut dire : ne pas croupir dans des certitudes, dans des habitudes, dans des normes imposées qui ne correspondent finalement pas vraiment à des rêveurs, à des utopistes, dont je crois faire parti. Bouger c’est prendre le risque de se ramasser. De se faire voler tout ce qu’on possède (au sens propre et figuré). De se mettre en danger. D’être précaire. D’être seul.e. Mais finalement, tout ça, on le risque aussi en ne bougeant pas. En restant vissé.e sur sa chaise, bien sagement, à regarder le journal de 20h. Ça fait d’ailleurs trois ans et demi que je n’ai plus la télé. Que j’essaye de réduire ma consommation de viande, de déchets, de CO², de conneries. J’ai encore tellement de choses à modifier… mais le monde évolue, et nous, petits humains en quête de sens, sommes en train de nous réveiller, face à la gravité de la situation mondiale. Les prises de conscience se multiplient et heureusement, elles sont contagieuses.



Pourquoi Rio ? Les « hasards » de la vie. Disons que c’est une destination qui est venue à moi par des voies universitaires, des accords qui existaient déjà et dont de nombreuses personnes de mon entourage ont déjà bénéficiés. Et puis après le Portugal, le Brésil fait sens. J’ai déjà rencontré pas mal de Brésiliens, et j’ai cette impression étrange que je ne pourrais les comprendre qu’une fois arrivée chez eux. Le Brésil fait parti de ces pays qui semblent souffrir, comme tant d’autres, de l’américanisation, du fascisme, de la peur, de la misère. Une poignée de riches pour une rivière de pauvres. La violence qui fait loi. Mais je me dis que finalement, ce n’est qu’une version plus avancée de ce que je connais déjà en vivant en France. Car je ne veux pas me leurrer : le capitalisme fait des ravages dans le monde entier, et la peur semble se propager à la vitesse de la lumière.  Alors pourquoi diable ai-je envie d’aller dans un pays qui semble encore plus en crise que le mien ? Certaines personnes m’ont dit de ne pas y aller. Que ce n’était pas le moment. Que c’était dangereux. J’avoue que j’ai reconsidéré les choses, que j’ai douté, surtout après les résultats des élections. Mais ça n’a pas suffit pour me faire changer d’avis. J’aurais l’air de quoi d’ailleurs ? « Non je n’y vais pas car j’ai peur ». Je ne veux pas céder à la peur. Je ne veux pas écouter ceux qui me transmettent leurs peurs. J’en ai déjà bien assez comme ça. Alors je me rebrousse les manches, j’écoute cette petite voix au fond de moi qui a retrouvé assez d’espace pour parler à nouveau, et je me lance. Je pars découvrir ce pays fabuleux, ses plages incroyables, ses rythmes de samba et autres danses magnifiques à en faire valser les étoiles, sa langue chantante et délicieuse, ses couleurs vives et explosives, son atmosphère si mystique que je ne connais pas encore -mais dont je rêve déjà.  



Je me lance alors ce nouveau défi : partir toute seule à Rio pour un semestre universitaire, y vivre six mois, et tout ça avec très peu d’argent. Encore une fois, quelle folie ! Mais moi, contrairement à d’autres, et c’est ce que je me répète constamment : je fais ce choix consciemment, et pas parce que je dois fuir mon pays en guerre. J’aurais toujours des gens sur qui compter en cas de pépins, des gens qui m’aiment et qui prendront soin de moi, même de loin. Je ne suis pas seule : tout l’Univers est avec moi !



J’ai bien conscience du fait que la vie est un long chemin, que chaque expérience ne représente parfois qu’un petit caillou, et que si l’on observe seulement ce caillou on a l’impression de ne pas avoir vraiment avancé… (quelle métaphore incroyable !). Mais plus j’avance sur mon chemin, plus j’arrête d’essayer de me comparer aux autres, et plus je me rends compte d’une certaine cohérence. Ces cailloux qui se rejoignent alors que je les avais involontairement isolés (cette métaphore filée est définitivement incroyable…). Je crois qu’il faudrait vraiment avoir un peu plus confiance, et se faire un peu plus confiance, surtout. Se dire que même si pendant un temps c’est la merde et qu’on galère, qu’on a l’impression de toucher le fond, et bien c’est peut être précisément de cela qu’on avait besoin pour vivre le truc incroyable après, faire LA rencontre, LE voyage, trouver LA force qui étaient en nous depuis le début mais qui juste était cachée par tout un tas de peurs… Et aussi, arrêter de croire que la société va nous apporter ce dont on a besoin. Cette société elle est malade, et c’est dans le désir de la faire évoluer qu’on y trouvera, peut être, notre bonheur.

dimanche 12 août 2018

L'après voyage

Il y a le temps du retour à la maison

De poser ses valises pleines à craquer 

De souvenirs, 

De rencontres, 

D'aventures qui forgent l'âme



Il y a le temps de se forcer à ne pas regarder en arrière 

Ne pas se laisser aller à la tristesse, 

Au manque, 

A la nostalgie facile 



Ces visages qui défilent lorsque les yeux se ferment, 

Ces paysages, 

La mélodie de cette langue que l'on a appris à comprendre, 

A parler, 

A intégrer en soi 

Cette langue que l'on a entendue chaque jour sans s'en lasser 

Cette langue que l'on adore et qu'on aimerait encore susurrer



Ces passages à vide, 

Avide de nouveautés 

De différent

De coloré



Ces chagrins d'amour qui cognent le cœur

qui colorent le ciel du presque soir d'une teinte rose irréelle



Se dire que ce voyage  sera quelque part en nous,

Toujours



Se dire que c'est le début d'une longue route, 

Encore pleine de rebondissements

De rencontres qui marquent l'existence



Accepter de revenir, de regarder avec des yeux différents

En tirer une certaine satisfaction



Danser

Chanter

Manger et boire ce qui nous plaît

Aller au théâtre

Au cinéma

Au musée

Ecouter beaucoup de musique

Ou bien plonger dans le silence

Voir des amis

Tenter de leur raconter,

De le décrire



Les mots en français qui coulent le long de la bouche,

qui ne buttent pas

Cette fluidité que l'on retrouve,

que l'on apprécie



Surtout essayer de lâcher prise,

Laisser passer un peu de temps

S'occuper 

S'aimer très fort même de loin

Même dans le silence



Rire

Pleurer si nécessaire

Laisser vivre l'émotion en nous

Lui donner la place qu'elle demande

Sans qu'elle prenne le contrôle

Sans qu'elle nous plombe



Aller au marché et s'acheter des fleurs

Pour célébrer la vie qui continue

Accueillir ce présent qui peut parfois ressembler à du passé qu'on a voulu fuir

Le laisser entrer par la porte et contempler sa nouvelle couleur,

Sa nouvelle forme

Sa nouvelle odeur



Faire l'amour

Prendre dans ses bras

Ecrire

Tenter de mettre des mots sur tout ça



Se remercier pour cette aventure incroyable

Remercier son instinct qui poussait à partir 

Pardonner ses peurs et ses doutes

Et surtout...



Se préparer au prochain voyage