Mars 2020. Quelque chose explose, fort. Ou simplement, quelque chose vient surligner l'explosion déjà en cours. C'est un cataclysme dans nos vies déjà fragiles. Ce qui est sûr, c'est que c'est un cataclysme dans la mienne.
Le souffle coupé, mon quotidien devient rythmé par des angoisses nouvelles, des peurs. Peur de la mort, de perdre le contrôle de moi-même, de voir ma liberté si rabougrie, ou autrement dit, voir mes besoins fondamentaux qui s'assèchent jours après jours. Une sorte de torture psychologique, lente et sarcastique. Ce qui n'était qu'une petite fissure devient un trou, de plus en plus béant.
Je mets donc des trucs en place, je tâtonne. D'abord, ça ne passe pas vraiment. C'est presque pire. Puis avec du temps, beaucoup de temps, de patience, une dose d'acceptation et de bienveillance envers moi même, ça s'apaise. Des rencontres déterminantes, des discussions, des espaces de soins, me donnent la force de me sortir moi-même de cet abysse effrayant. Un long voyage commence.
Aujourd'hui, je ressens le besoin de parler à nouveau, d'écrire ce qui peut être peut rassembler. C'est une sombre période dans laquelle nous vivons. Tout craque autour de nous, et nous oblige à créer des espaces pour nous réfugier, et évoluer différemment. Se renforcer, se donner l'empathie et l'écoute qui nous manque tant. Et puis surtout, prendre le temps de réfléchir. D'analyser notre monde. De fouiller et pas seulement dans ce qui nous semble être l'évidence.
C'est un travail de fourmi, long, fastidieux, particulièrement impactant émotionnellement. C'est un travail qui demande aussi des temps de repos, profonds, réels, non discutables. Au fur et à mesure de ce dit « travail » (qui n'est peut être pas le mot adéquat), des événements concrets s'invitent dans notre quotidien. C'est ces événements qui font le plus avancer, car ils sont intrinsèquement connectés avec la Vie dans toute sa force et sa complexité, connectés aux gens qui nous entourent, et surtout à leurs peurs et leurs angoisses. Le tri est alors particulièrement difficile à faire : qu'est ce qui m'appartient ? Qu'est ce que je dois fuir à tout prix ? Vers qui ou quoi dois-je me tourner pour me protéger ?
Parfois, la collision est douloureuse. Elle vient piquer l'intérieur de soi avec une précision impeccable. Le cataclysme n'est jamais loin, il guette. Avec méthode, il surgit lorsque la garde est baissée. Mais l'empêcher à tout prix d'intervenir est une erreur, car sa présence peut également apparaître comme une bénédiction. C'est une épreuve qui force à bouger et oblige à regarder dans d'autres directions. Souvent inattendues. C'est ce qu'on peut aussi appeler « la résilience ».
Je n'ai pas vraiment de leçons à donner, mais je suis fatiguée de voir cette tendance à la paresse, qu'elle soit intellectuelle ou émotionnelle. Évoluer, que ça soit d'un point de vue personnel ou collectif, requiert de la rigueur, et beaucoup, beaucoup de temps et d'énergie. Je comprends que cela puisse paraître écrasant, inaccessible, voire réservé à des personnes privilégiées socialement et économiquement. C'est d'ailleurs majoritairement le cas, soyons honnêtes. Je sais aussi combien ce sont les femmes qui s'y collent, car on ne leur laisse guère le choix. Mais je crois que nous avons, tous et toutes, suffisamment de ressources pour créer ces nouveaux espaces de soin, d'écoute, de considération, et surtout d'entre-aide, d'auto formation, d'éducation populaire, d'autogestion.
Mes angoisses m'auront appris ça : bouge-toi le cul quand tu en as la force, fais exister ce dont tu as besoin et qui n'existe peut-être pas encore, surtout ne plie pas, continue jusqu'à ce que ça soit satisfaisant. Et quand le courage te manque, repose-toi, soigne-toi, protèges-toi, ou ne fais rien. Lâche toi la grappe.
La vie est un éternel cycle mais il ne s'agit pas de revenir au point de départ, simplement de prendre les bons embranchements quand ils se présentent, et ça, c'est pas en restant dans ta zone de confort que ça arrive.