Depuis
quelques jours, tu paniques. Tu sens que ton espace s’amoindrit, que tes ailes
sont coupées pour un temps indéfini. Le fait de savoir que tu n’auras plus le
choix entre tant de belles options, comme aller au théâtre, au cinéma, boire un
coup avec des amis ou encore te balader dans les rues de ta ville sans craintes
ni appréhensions, te serre le cœur. Un poids dans ta poitrine, lourd, des
vagues d’angoisses qui surgissent sans prévenir. Après les annonces du Premier
Ministre et du Président, tu sens comme ça bouge en toi, ça se tord, ça
palpite, ça te prend sans prévenir, puis
ça s’apaise un peu jusqu’aux prochaines mesures annoncées, jusqu’aux prochaines
interdictions que tu vas devoir, malgré toi, accepter.
Tout
va si vite. Tout paraît si absurde et caricatural autour de toi. Les événements
sont annulés les uns après les autres. « La propagation est
exponentielle », disent-ils. Le confinement est annoncé. Combien de temps
ça va durer ? Deux semaines ? Un mois ? Plus ? Ce virus apparaît alors comme un accélérateur de vie, mais aussi, et
bien tristement, de mort.
Liberté,
tu sais à quel point je te chérie. Tous les choix que je fais depuis quelques
années, mes voyages, mes études, mon engagement politique et militant, et
tellement d’autres choses essentielles à ta survie, sont pour te rendre hommage
et te célébrer. Tu es une sorte d’étoile scintillante dans un ciel tourmenté
qui m’aide à me diriger quand je suis perdue, seule sur mon embarcation de
fortune.
Mais
aujourd’hui, et j’en suis sincèrement désolée, je vais devoir te museler pour
quelques temps. Tu ne vas pas disparaître totalement, n’aies crainte !
Seulement tu n’auras pas cette force et cette beauté des temps jadis. Tu seras
simplement en attente de jours meilleurs.
Il te
faudra t’armer de courage et de la patience, car le Président l’a
décrété : nous sommes en guerre. Une guerre ? Vraiment ? Alors
s’il en est ainsi, tu devras coûte que coûte garder cet espoir au fond de toi,
celui de la puissance de la Vie qui resurgira, plus forte encore, plus majestueuse,
et ce grâce à ce processus de transformation radicale et nécessaire de tout ce
que nous connaissons, de tout ce que nous avons construit depuis ces derniers
siècles. Nous avons agi avec nos peurs, notre soif de pouvoir toujours plus
grande, nos frustrations inassumées et dangereuses. Pour tout cela, nous devons
en payer le prix juste.
Ce
sont de grandes responsabilités que nous avons là. Tout d’abord, sauver des
vies en restant confiné.e.s chez soi (original tu ne trouves pas ?), puis
une fois que l’épidémie sera passée (puisqu’elle finira bien par s’arrêter un
jour...), changer le Monde. Rien que ça !
Les
grèves, les manifestations, les actions politiques dans la rue, les ZAD, toutes
ces tentatives qui nous ont petit à petit ouvert les yeux, qui nous ont prouvé
qu’un autre chemin était possible et qu’il était urgent d’agir, n’ont
malheureusement pas été suffisantes.
Mais elles ont déjà eues un impact considérable sur notre prise de
conscience générale et nous ont rassemblé.e.s, pour le meilleur comme pour le
pire.
Il est
temps d’accepter la situation telle qu’elle est même si cela nous paraît
aujourd’hui totalement anti-naturel, à toi comme à moi. Certains jours, tu me
manqueras plus que tout. Mais ce qui nous fera tenir, c’est de penser que dans
le nouveau monde que nous allons tenter de construire, celui, plus juste et en
accord avec tes principes et tes valeurs, comme (en vrac) la solidarité, la sororité (oui, j'insiste!), la décroissance, le partage
équitable des richesses et du temps de travail, l’éducation populaire, l’abolition
du patriarcat et de toutes violences systémiques qui ont déjà trop durées, dans ce monde tu
pourras alors déployer à nouveau tes ailes, avec vivacité et force.
Prends
soin de toi, et n’oublie pas : « l’attente est en proportion
du bonheur qu’elle prépare », Michel Dupuy.
Gaëlle