Voilà deux mois et quelques jours que je suis arrivée à Rio. Je crois que je ne mesure pas encore très bien l’importance de ce voyage, tout l’impact qu’il a et qu’il aura sur moi, cela sûrement pour le reste de ma vie.
Je ne cesse de penser à tous ces paramètres qui petit à petit s’entremêlent pour ne former qu’un seul et même amas de souvenirs, d’expériences, de rencontres, et qui indéniablement m’obligent à élargir ma conscience individuelle et ma compréhension du monde de manière de plus en plus globale. En fait, je crois que plus une personne voyage, plus elle découvre des endroits basés sur des codes culturels et sociaux différents (et évidemment différents de ce qu’elle connaît), plus elle parle de langues, et plus elle peut élargir sa vision du monde, son identité, ses questionnements profonds. Le voyage apprend à relativiser, à mettre les choses en perspectives, et également à se situer en tant qu’individu. Ceci en est une définition très personnelle mais je crois que la réalité n’est pas exactement celle là pour tout le monde. Certaines personnes ont beau avoir beaucoup voyagées, elles restent toujours aussi étriquées qu’en restant chez elles et continuent à reproduire ce qu’elles connaissent, à se baser finalement sur les mêmes systèmes de valeurs même si elles ne sont plus forcément valables au delà d’une certaine zone géographique.
A ce sujet, je me rends compte à quel point le fait d’être française prend une énorme place dans mon identité, même si j’aurais tendance à vouloir le mettre de côté, revendiquer ma multiplicité et mon envie de ne pas être rangée dans des cases, mais c’est indéniablement là, et je ne peux pas y faire grand-chose. La France reste un pays de prestige, et énormément d’artistes, écrivains, poètes, penseurs… y sont issus. Je suis assez surprise de voir que même au Brésil beaucoup de références sont européennes, dont françaises. Finalement, je voyage à l’autre bout du monde pour entendre parler des mêmes gens… C’est moi ou quelque chose cloche au niveau de la représentativité ? Evidemment je ne parle même pas du côté colonisateur, qui peut expliquer aussi en partie cette adoration de la France et de la culture française (on en parle de notre Dame ? Parce que personnellement ça m’a beaucoup agacé... comparé à toutes les catastrophes normalisées passées sous silence, rien qu’au Brésil…).
Je crois que l’une de mes plus grandes découvertes de ces derniers mois (et cela a commencé en France en préparant mon départ) a été d’entrer petit à petit dans cet univers des « voyageurs ». Même en étant partie un an au Portugal je n’avais pas vraiment fréquenté de voyageurs, j’étais plutôt avec des gens sédentaires, ou des voyageurs sédentarisés au moment où je les ai rencontrés. Je me rends compte de l’énorme potentiel de cette pratique, et aussi des diverses manières de la vivre. Je crois que les voyageurs constituent une grande famille, une sorte de communauté, qui se subdivise en plusieurs petites communautés, comme dans un arbre généalogique. Bien sûr il y a une infinité de manière de voyager, mais je crois quand même qu’il est possible de classifier cela afin de mieux comprendre et surtout, de mieux savoir quelle est la sienne (de manière !). Ceci demande, il me semble, un long et complexe processus intimement lié à ses valeurs profondes, son éducation et son expérience de vie. Si je prends mon exemple, je crois que j’ai déjà changé de subdivison, et que j’aspire encore à en changer. J’ai commencé par des petits voyages assez confortables, où je n’avais pas grand-chose à décider, simplement à observer et suivre, pour aller ensuite vers un type de voyage un peu plus aventureux mais toujours bien balisé cependant, pour entrer petit à petit dans un cadre plus flou, plus multiple, dans lequel les limites sont à dessiner au fur et mesure du temps et des rencontres. Mais malgré cela, et malgré mon impression d’avoir grandi et avancé, d’avoir combattu ma peur de l’inconnu, d’avoir cette fierté de pouvoir parler plusieurs langues et m’entendre avec des gens de différentes nationalités, je sens que je pourrais aller encore plus loin. Comment ?
En fait je me suis également rendu compte à quel point le fait d’être connecté était (apparemment) indispensable, et rendait les choses faciles. Sans mon portable, sans mes applications, je suis perdue. Déjà, je dois admettre à quel point mon sens de l’orientation est nul et que sans Google maps je suis bloquée pour me déplacer. Pareil pour les infos, les événements… sans Facebook, sans What’s App, je m’ampute de beaucoup de possibilités, et je me coupe également de ceux.celles qui sont loin. Comment s’en passer ?
Il y a environ trois semaines je me suis fais voler mon téléphone dans la rue. J’étais seule dans un quartier peu recommandé de nuit (alors que le jour à ce même endroit il n’y a aucun danger), et deux jeunes garçons me sont tombés dessus et m’ont obligés à leur donner mon précieux sésame. Ça m’a vraiment couté de leur tendre volontairement (et sous des menaces de mort…). Ils voulaient aussi ma carte bleue mais j’ai réussi à m’en sortir par une pirouette, prétextant que je ne l’avais pas. J’ai eu de la chance qu’ils m’aient crûs et laissé partir sans encombre. J’ai tout de suite cherché une solution pour avoir un portable de nouveau, car cela me bloquait dans un peu près tout (notamment, le plus important, les déplacements, que je fais essentiellement en bus ou uber, sachant qu’il n’y a aucun panneau d’affichage sur les arrêts de bus et que les brésiliens ne sont pas toujours à même de t’aider étant donné le nombre de bus et de lignes différentes). C’est un peu triste à dire mais le portable devient alors un outil quasiment indispensable. Il est le réceptacle de tes souvenirs, ton lien social, ta boussole, ton traducteur… Je me demande vraiment comment les gens faisaient avant, sans. Eux.elles, c’était des VRAI.E.S voyageur.euse.s, le level ultime dans mon classement, la subdivision de l’extrême ! Et même si tout devait prendre plus de temps, devait être plus fastidieux, alors tout devenait aventure, et tout forçait à entrer beaucoup plus en contacts avec les locaux, seuls à même de donner des précieuses informations. Des fois j’aurais presque envie de revenir en arrière et voir ce que ça fait de vivre sans cet objet, mais le confort est tel (et franchement dans des endroits comme Rio ça peut tellement te sauver la vie) que je ne m’y risquerais pas, et je n’arriverais pas vraiment à faire sans maintenant que je l’ai expérimenté. Aussi, un des points positifs du portable, c’est de pouvoir se décider au dernier moment, et voir qu’internet dans beaucoup de cas PEUT répondre à tes désirs. Envie de bouffer des sushis ? Hop, demandons à google. Envie de partir dans une île et réserver une auberge sympa et pas cher ? En moins d’une heure ça peut être plié. Alors comment choisir CONSCIEMMENT de ne pas utiliser ces facilités ?
Ma conclusion à ce sujet est vraiment de réussir à les utiliser sans pour autant en abuser, ce qui est pour ma part une tâche particulièrement difficile, qui m’amène souvent à m’auto-juger, et à sentir un gros décalage entre cette impression que l’on pourrait avoir de l’extérieur, c'est-à-dire « ouah t’es trop une ouf de voyager, sauter dans l’inconnu, moi j’oserais jamais » et en fait la réalité qui est des fois pas si folle que ça, juste je suis la recette et j’applique les codes. Simple, efficace, et je vous assure, la plupart du temps, confortable.
Autre point important que ce voyage a souligné, qui me concerne d’ailleurs plus directement et de manière strictement personnelle, c’est mon amour et mon besoin du détail. Je suis une personne de détail. Je m’explique : j’ai un type de personnalité que je qualifierais d’assez « analytique » (je suis verseau pour ceux.celles à qui ça parle), c'est-à-dire que je passe pas mal de temps à réfléchir, sur moi-même, sur le monde en général, sur les autres, ma relation à eux, ce qu’ils dégagent, ce que je dégage… et le voyage amplifie encore plus cette tendance à l’introspection, cette porosité à ce qui m’entoure et les effets que ça produit sur moi. J’ai d’ailleurs essayé d’exprimer cela en photo-performance mais je ne sais pas si c’est très réussi, j’attends de voir le résultat. En fait, tous les paramètres, les « détails », vont avoir leurs importances, et si j’essaye de faire comme si ça n’en avait pas, la vie me rattrape et me le fait bien remarquer. Je vais vous donner un autre exemple pour illustrer mon propos. Après avoir été en collocation avec des brésilien.ne.s pendant un mois et avoir ensuite un peu vadrouillé avec mon amie Jenifer dans des hostels/rbnb, j’ai commencé à travailler dans un premier hostel en volontariat. J’avais envoyé des demandes dans plusieurs autres hostels mais le manager de celui là avait répondu rapidement et très positivement, ce qui m’avait donné envie d’essayer, d’autant qu’il était plutôt proche de mon école et dans un quartier vivant et central. J’y suis d’abord allé en tant que cliente, pour prendre la température, avant de commencer réellement à y travailler. Mes premières impressions étaient plutôt mitigées, mais je me suis dis que le fait de travailler allait me faire changer de vision, et que c’était dommage de s’arrêter à ma première impression, surtout que finalement je n’avais pas vraiment d’autres possibilités à ce moment là. Sans rentrer dans les détails, je n’étais pas faite pour travailler et vivre dans cet hostel, cela ne me correspondait juste pas du tout, le manager apparemment sympa et ouvert s’est avéré très mauvais communiquant, le staff était composé majoritairement d’anglais qui avait pour but de se bourrer la gueule le plus possible en jouant au bière pong, et comme j’avais mes cours à côté et que je devais me lever tôt tous les matins, vous imaginez bien que ça sentait mauvais depuis le départ. Je me suis fais virer au bout de deux semaines et demi, car selon les dire du manageur je n’étais pas « assez impliquée dans la vie de l’hostel ». Première fois qu’on était vraiment d’accord finalement, je n’avais rien à y faire, et même si j’y ai rencontré des personnes géniales, il fallait absolument que je parte le plus vite possible et que je trouve autre chose. Et là, de manière assez magique et fluide, les choses se sont débloquées : j’ai pris quelques nuits chez une copine française, Laëtitia de la chaîne LeCorpsLaMaisonL’Esprit qui avait un lit de libre, ça m’a permis de me poser quelques jours et de chercher autre chose, de recontacter des hostels que j’avais déjà contacté au début mais qui ne cherchaient plus de gens à ce moment là, et par miracle un hostel m’a répondu en disant qu’ils cherchaient des gens immédiatement. Me voilà, 4 jours plus tard, dans un nouvel hostel, qui correspond beaucoup plus à ce dont j’avais besoin. Calme, une bonne communication dès le départ, près de la nature et de la plage, familial, axé sur de la bonne bouffe, lumineux et spacieux... Tout ce dont, il me semble, il m’avait manqué jusqu’à maintenant. Au moment où j’écris ça fait deux semaines et de demi que j’y suis, et je compte y rester pour un petit temps encore, jusqu’à ce que d’autres envies/besoins se présentent à moi.
Le dernier point, et pas des moindres, concerne la difficulté à m’intégrer dans le réseau artistique de mon école, et de la ville en général. En comparaison avec ce que j’avais pu vivre au Portugal où tout était relativement facile d’accès, je dois ici accepter ici le fait que je n’aurais jamais cette intégration, cette fluidité, et que par-dessus cela le pays traverse une crise politique et sociale énorme et l’art n’est malheureusement pas DU TOUT la priorité. Plus de ministère de la culture depuis quelques mois. Plus de subventions (ou si peu), plus de soutien, si ce n’est le soutien des gens entre eux, déjà épuisés par les conditions de vie et de travail difficiles. La plupart des bréslien.nne.s ont deux, voir trois ou quatre travails pour s’en sortir. Les trajets coûtent cher et sont longs. Tout le monde n’a pas le temps ni l’argent de sortir le soir, de faire de nouvelles rencontres. Et puis la mentalité est très particulière, j’essayerai d’en parler plus en détails dans mon prochain texte. En conclusion, je suis assez déçue de ce que je vis artistiquement parlant, et c’est aussi en partie de ma faute car je pourrais aller plus à la pêche aux informations, mais je me sens un peu seule dans ma quête et j’aurais besoin d’être plus guidée. J’ai alors décidé de me concentrer sur des objectifs plus personnels liés à ma recherche, notamment à travers des interviews de personnes qui correspondent aux questions que je me pose notamment sur le lien entre l’art et la politique. Plus de nouvelles à venir.
Je ne sais pas si ces quelques lignes rendent compte de la complexité de ce que je peux vivre ici, et surtout celle de trouver ma place au milieu de tous ces aspects du voyage. J’ai déjà parlé de la beauté de la ville, la possibilité de s’enivrer sur des rythmes de samba en buvant des délicieuses Caipirinhas (que j’ai d’ailleurs appris à faire !), l’énergie des gens et leurs sourires malgré les problèmes… Tout ceci me fait aimer Rio au point de savoir que j’y retournerais sans aucun doute, mais c’est aussi une sacrée difficulté que de me trouver du temps pour être seule avec moi-même. Ecrire ce texte. Penser. Lire. Aimer. Me nourrir bien. Dormir suffisamment malgré le fait que je partage un dortoir avec dix autres personnes. Appeler mes proches. Toutes ces choses qui font que la vie prend une consistance suffisante et me rend heureuse. Suis-je heureuse ? Je le crois. Je le sens parfois, un peu derrière mes petits nuages de questions et de doutes. Je remercie la vie mille fois de me donner cette opportunité, et de m’apporter des solutions quand je rencontre des problèmes. De m’aider à prendre confiance, en moi, et en toutes les personnes qui sont mises sur mon chemin et qui parfois me rendent incroyablement heureuse et fière.
MERCI !