samedi 29 octobre 2016

Lettre à Besançon



Il n'est rien de comparable à ce que ton nom fait résonner en moi
Je suis née en toi
En ton ventre de mousse
Ta citadelle de pierre
Tes ruelles étroites
Et ton parfum de fleur joyeusement fanée

Je foule inlassablement ta peau dure qui sait tout de moi
Tu as bercée mes amours de tes bras maternants
Tu m'as nourri de ton sein vert
Paisible
En me cachant parfois sous tes ponts
Tes murs épais et tes draps tièdes

Assoiffée encore
Ton liquide de miel et de sang a coulé le long de ma gorge
Me rendant folle de tes lumières qui dansent
De tes notes de guitare ou de bavardages insensés
-Mais tellement essentiels-
D'autres âmes perdues

Je ne compte plus toutes ces joies colorées par la nuit
Ces imprudences
Ces pièges délicieux qui m'ont rendue femme
Parfois grande
Parfois tendre
Endolorie de cette culture que l'on transgresse
Que l'on regarde pousser sans savoir

En tes kiosques j'ai vu le peuple qui grondait
J'ai entendu sa voix fragile
J'ai eu tant d'espoir et tant de peines

Tes silences m'ont guidée dans la brume
Tes reflets dorés dans l'eau
A l'aube

Effrontée
Insaisissable sous tes remparts
Tu as observé toute cette chair s'affairant
S’essoufflant sur tes plaines
Dans tes forêts et tes églises

Maintenant je dois te dire
Que je m'apprête à te quitter
Cet amour me dépasse
Et je dois apprendre à t'aimer autrement
A t'aimer de plus loin
De plus haut


La nuit
J'entends tes râles graves de femmes qui pleurent
Celles qui ne comprennent plus mais qui se tiennent droit 
Celles qui sont grandes et fortes le jour
Brillantes de mille étoiles quand la rosée enfin s'évapore

Te quitter sera difficile
Mais si je souhaite encore ressentir ta beauté en fermant les yeux
Je dois me délivrer de tes bras accueillants

Ces derniers mois dans tes entrailles pour clôturer le cycle de ma première vie
Tu seras ma petite mort
Tu seras belle dans mon cœur d'enfant grandi trop vite
Tu seras fière
Orgueilleuse
Maquillée de tes rames de tramway turquoises
De tes musées
De tes théâtres

Tu sais que c'est dans tes salles sombres que j'ai appris à aimer l'Art
A le détester aussi parfois
Tu sais que c'est sur tes scènes
Dans tes bars et tes rues
Que ma voix s'est envolée
Comme un oiseau qui tombe de son berceau trop petit

Tu sais comme je te dois tout
Comme tu es en moi
Et comme aucune autre mère ne pourra te voler ces fruits rares

Je reviendrai
Chargée de nouvelles victuailles
Chargée de pierres précieuses
Que je déposerai sur tes dalles noircies par la vie qui grouille
Sans moi
Loin de moi
Mais toujours
-Et peut être même plus intensément-
En moi.

Ton enfant des rues,


G.